Empruntée à Stéphane Boujnah, le patron d’Euronext qui nous accorde cette semaine un long entretien sur les conséquences pour la Bourse paneuropéenne du veto de Bruxelles sur la fusion entre le London Stock Exchange et Deutsche Börse, ce détournement de la formule du romancier britannique, génie de l’absurde, fera sourire. Elle n’en sonne pas moins assez juste et devrait plutôt inquiéter. Le 29 mars, « the D-DAY » Engagé officiellement par Theresa May mercredi 29 mars, le même jour – la coïncidence n’en est peut-être pas une – que l’annonce de l’échec du mariage des Bourses de Londres et de Francfort, la négociation sur le Brexit sera dure et fait entrer l’Europe dans une longue période d’incertitude. Elle sera dure parce que face à l’impréparation des Britanniques sur les conséquences de la sortie de l’UE, les Européens ont fixé un cadre procédural et un calendrier très clair et très précis. Brexit veut dire Brexit, et cette séparation ne pourra pas ne pas avoir des conséquences très concrètes, dont l’échec de la fusion DB-LSE est un premier signe (lire page 8). Il aurait quand même été ubuesque que la City de Londres garde ainsi un pied dans la zone euro en devenant le siège de la principale bourse continentale par son poids capitalistique. Au-delà des questions de concurrence qu’aurait posé cette fusion, c’est une question de cohérence. Après le Brexit, il n’y aura plus de continuité réglementaire entre Londres et le continent. Cela fait des années que la City domine la finance européenne en imposant à Bruxelles le cadre réglementaire qui lui est le plus favorable. Avec le Brexit, cela va nécessairement se rééquilibrer et ce sera à l’Europe de saisir cette opportunité pour renforcer l’attractivité globale du continent et développer ses places financières en bénéficiant de l’avantage du passeport européen que vont perdre tous les acteurs financiers installés au Royaume-Uni. Pour l’instant, Francfort et Dublin se détachent nettement pour accueillir l’exode des banques internationales de la City, la première parce qu’elle héberge le siège de la BCE, et la seconde parce qu’il n’y a pas de barrière linguistique. Paris reste considérée comme une place financière de seconde zone, même si la métropole française est sans doute la plus attractive par sa qualité de vie. La France souffre aussi d’une image négative dans le monde anglo-saxon en raison de sa lourde fiscalité et de son instabilité réglementaire. L’inconnue des élections présidentielles de 2017 ajoute à la confusion, alors que la possible victoire de Marine Le Pen agite le spectre du Frexit et de la sortie de l’euro. Jamais une élection présidentielle n’a été au coeur d’enjeux aussi essentiels Quel que soit celui qui sera opposé à la candidate du Front National au second tour, le vote du 7 mai va se transformer de facto en référendum pour ou contre le maintien de la France dans l’Union européenne, et pour ou contre le retour au franc. Pour les souverainistes, le Brexit légitime leur revendication d’une sortie de l’euro. Il s’agit d’un leurre dangereux. Même improvisé, le divorce du Royaume-Uni et de l’Union européenne ne s’accompagne pas de l’aventure d’un changement de monnaie aux conséquences imprévisibles ; par ailleurs, le Brexit ne rime pas avec repli sur soi de la Grande-Bretagne : au contraire, le gouvernement conservateur croit plus que jamais aux vertus du libreéchange et développe une stratégie de « Global Britannia », aux antipodes des discours du Front National qui ne cesse de dénoncer les « mondialistes ». Brexit et Frexit, ce n’est donc pas identique D’un côté, on a une Grande Bretagne qui va se redéployer à l’international et tenter de sortir par le haut de la négociation à grands risques engagée avec l’Union européenne – et l’on peut compter sur le flegme et le pragmatisme britanniques pour limiter la casse et trouver un nouvel équilibre dans le jeu mondial, y compris dans ses relations avec une Union européenne qui a l’occasion de se redéfinir. De l’autre, il y a une volonté de détruire tout ce qui a été bâti au cours de soixante années de construction européenne, sans proposer aucune stratégie alternative pour une France qui se retrouverait isolée et repliée sur elle-même, avec une monnaie dévaluée, une industrie et des épargnants ruinés. Il reste cinq semaines aux Français pour choisir. Le 7 mai, le visage qui apparaîtra à 20 heures sur les écrans de télévision déterminera le destin du pays.
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